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Claire PARMA, (LY-BC 1991) : Conteuse, Cie Les voix du conte

25 mars 2022 Talents
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UNE INGÉNIEURE BIOCHIMISTE RACONTEUSE D'HISTOIRES

En 1987, un bac D en poche, avec mention très bien, je rentre à l'INSA Lyon, en première année. 
Le choix de cette école n'a pas été évident. Comme beaucoup de jeunes à cette étape d'orientation, j'avais oscillé entre des choix radicalement différents allant de SciencePo à une école de journalisme, des écoles prépa, écoles d'ingénieurs, et même prof de sport. Je suis rentrée à INSA Lyon pour aller en biochimie. Rien d'autre. Je voulais faire de la biologie, étudier comprendre le vivant. Les deux premières années, avec uniquement des sciences dures (et pas l'ombre d'une langue vivante ou d'humanité à l'époque) ont été un peu éprouvantes pour moi.

Une rencontre a été essentielle durant ces 5 années passées sur le campus de Lyon. Celle avec Albert Jacquard, venu à l'INSA de Lyon pour y tenir une conférence, ce fut une révélation, un véritable coup de tonnerre. Ce très grand généticien questionnait toute sa pratique, la légitimité des découvertes scientifiques et la responsabilité de l'homme scientifique à la lumière de sa responsabilité individuelle dans notre monde. Il était venu pour nous parler non pas tant de technique et de génétique, mais pour délivrer un véritable message d'humanité et nous rappeler l'importance de notre pleine humanité, dans les métiers que nous exercions. 

Je pressentais alors que ce qui m'intéressait dans les sciences était exactement à cet endroit : non pas dans les réactions biochimiques, non pas dans les tubes à essais et les laboratoires, ni même dans les industries agronomiques, mais dans ce qui nous rendait pleinement humain. Quel est donc le secret, la biochimie de notre humanité ? Fraichement diplômée de l'INSA Lyon en 1992, je décrochais, après 6 mois de stage dans une entreprise pharmaceutique anglaise, un emploi dans un groupe de Pétrochimie américain. J'étais engagée pour un poste précurseur à l'époque en France : la prévention des risques pour la santé du personnel. Un poste que remplissait alors la médecine du travail. J'étais en charge d'évaluer, de prévenir et de chercher des solutions avec les départements techniques quant à l'exposition du personnel aux produits chimiques, au bruit, aux contraintes ergonomiques, aux radiations. Ainsi durant 5 années, j'ai monté ce poste, en pionnière, sur des critères à construire et à inventer. Je n'ai eu de cesse de traverser l'atlantique pour aller m'inspirer de ce que faisait la maison mère de l'autre côté. J'étais (au dire du directeur du site de l'époque) promue à une « belle carrière ». Et j'ai tout lâché.
J'ai adoré ces 5 années de vie professionnelle en tant qu'ingénieure, elles ont été fondamentales dans la suite de mes choix, dans ma compréhension du monde, mais j'ai tourné la page. Une « brillante carrière » n'était pas dans mon plan de carrière ! Je ne voulais plus servir de « faire valoir » à l'entreprise. L'essentiel pour moi était ailleurs, et cet ailleurs, je me devais de le trouver.

Au cours d'une année sabbatique, j'ai donné beaucoup de mon temps à des associations diverses, et j'ai repris des études. J'ai passé une licence en philosophie, puis un DEA en éthique. Quel grand écart ! Une revanche pour la littéraire contrariée que j'étais et un moyen de combler la soif éthique et réflexive qui m'avait tant manqué au cours de mes études et qui s'était avérée pourtant si essentielle durant ces 5 années professionnelles. La rencontre avec le conte et les arts de la parole s'est faite à ce moment-là : Nuit du conte, dans une ville du Sud, 1 heure sous un arbre. Et les mots qui nous emmènent dans les recoins les plus reculés de ce monde, nous font goûter des saveurs inouïes, entendre des sonorités colorées et bercent nos âmes. Mais oui, les histoires ! J'avais toujours écouté des histoires ! Et soudain de réaliser que mon puissant désir d'écrire était peut-être là dans cette façon si simple de raconter, de faire exister par la musique des mots et la danse du corps ce qui ne semblait pas exister l'instant précédent. 

Le parcours pour aller vers les arts de la parole, le conte et les arts du récit, a été un long chemin, parcouru souvent de manière autodidacte, mais, jalonné régulièrement de rencontres essentielles, de formations diverses et de compagnonnage. Il n'y a pas d'école à proprement parler de conteur, ou d'artiste des arts de la parole. On le devient, par divers chemins… oui mais quand ? 

Quand ?

Ingénieure : j'avais le diplôme avant même de commencer à travailler. Conteuse, j'ai exercé longtemps avant de pouvoir affirmer et assumer l'être. Renversements de valeurs… Ce n'était pas le dernier.

  • Devenir artiste du spectacle vivant, lorsqu'on était initialement engagée sur une route en apparence plus balisée, est un parcours étrange, tortueux mais magnifique.
  • Etrange car nombreux sont ceux qui longtemps ont pensé : « Ça lui passera ».
  • Etrange, rien n'est jamais acquis, mais sans cesse à reconquérir.
  • Tortueux, parce que soudainement plus aucun chemin n'est balisé. Il faut donc le tracer, parfois seule, à travers incertitudes, désir, volontés, joies, découragements et élans.
  • Etrange, car les valeurs économiques se retournent soudainement.
  • Magnifique, car soudain, dans cette immense liberté et dans les creux de son incertitude, le langage de la pleine humanité, dont parlait Jacquard, a refait surface.
  • Magnifique, car dans les plis de cette parole, dans les strates de ces récits traditionnels visités et racontés pour certains depuis la nuit des temps, s'écrit l'histoire humaine, ses peurs, ses angoisses, ses rires, ses joies, sa lecture du monde : une autre compréhension de nos environnements, de nos liens au vivant.
  • Magnifique, car c'est un métier fait de perpétuelles rencontres, de grande plasticité et d'adaptabilité, de créativité permanente et de présence aux autres.

Être sur scène, faire du spectacle vivant, est un exercice de funambule. Si tu n'es pas au centre, tu tombes. Aujourd'hui, je gère une petite compagnie artistique autour des arts de la parole : Cie Les voix du conte. J'écris, je joue, et mets en scène des spectacles pour les tout-petits (0-3 ans) des spectacles jeunes public, mais aussi familiaux ou adultes. Je travaille la parole, les mots, comme une pate sonore, une vibration musicale, surtout avec les tout-petits. Je joue également sur des formes théâtrales simples, avec des textes qui ne sont pas du récit mais des textes d'auteur ou de théâtre. Je tourne actuellement sur scène, un spectacle « Etty Hillesum, une voix dans la tourmente » autour des écrits d'une femme Juive, Etty Hillesum, d'une puissante humanité. Je me qualifie parfois d'artiste « tout terrain », tant les espaces où je suis amenée à jouer peuvent être très différents : de la scène de théâtre sous le feu des projecteurs, au coin de la rue, sur la margelle d'un puits ou au fond de la nuit. Tous les lieux sont des terrains de jeu potentiel pour le récit et je promène la parole vivante partout où cela est possible. Ainsi, il m'arrive d'intervenir aussi auprès d'adultes en situation de handicap, en hôpital psychiatrique, avec des enfants autistes, des personnes âgées... 

 

Je travaille également pour d'autres compagnies artistiques, et tourne actuellement avec un spectacle autour du sexisme « LET'S TALK ABOUT SEXism « (texte d'auteurs et danse.) Je suis actuellement aussi sur la création du récit de Barbe bleue, avec une autre compagnie artistique, mêlant voix signée, voix parlée et voix ventriloquée : « Rien que le soleil qui », à voir au théâtre de Bourg-en-Bresse au mois de mars. 

Je ne parle que rarement de mon diplôme d'ingénieur, il semble en effet que ce parcours m'ait désormais placée ailleurs. Pourtant, j'ai parcouru un long chemin et chaque pas qui a mené au suivant est cohérent avec le précédent. Nos vies sont de grands récits qu'ils nous appartient d'écrire… | 

 

     
 

ARTISTE DES ARTS DE LA PAROLE PAR CLAIRE CAUSSANEL-PARMA

Raconter, c'est jouer à voix nue, sous le feu des projecteurs ou dans l'intimité d'une vague lueur, faire vivre ce théâtre populaire, celui de la littérature orale, transmis depuis l'aube de l'humanité et toujours d'actualité.
Raconter, c'est explorer à nu la voie tracée par ces récits, lieu de sédimentation de la mémoire collective, qui embrassent en leur sein la réalité de l'humanité et se confrontent encore et toujours avec l'actualité cinglante de la modernité.
Raconter, c'est voyager avec pour bagages les seuls mots sur le dos, accepter d'aller dans des territoires mouvants, vierges, peu fréquentés et jamais totalement explorés, mettre en abîme, le réel et l'imaginaire, pour ouvrir sur d'autres sens, inviter à un autre regard, libérer des liens, éveiller l'autre là où il est.
Raconter, c'est illuminer les mots d'une musique nouvelle, à la lumière de la réalité de son auteur, à travers l'incarnation du verbe et l'imagination créatrice de la parole. Cette parole poétique, musicale, rythmique, se fait truculente, joueuse, joyeuse, cinglante, silencieuse.
Alors ce Dire peut être un pont depuis le « je » au « nous » jusqu'au fin fond de l'horizon. Libre toujours.

     

 

LES SPECTACLES À VENIR

« Etty Hillesum, une voix dans la tourmente » : spectacle ado-adultes à l'Etincelle, Genève, du 19 au 22 janvier
« LET'S TALK ABOUT SEXism » : 9 mars à La tannerie, Bourg en Bresse, 11 mars au Théâtre de Bellegarde- sur-Valserine, 17 mars au théâtre d'Oyonnax
« Rien que le soleil qui / Variations autour de Barbe bleue » : création pour le théâtre de bourg en Bresse, 3 et 4 mars
Toutes les dates sur : www.lesvoixduconte.fr/agenda 

Retrouvez la Cie Les voix du conte sur : www.lesvoixduconte.fr 

 


Extrait de la revue INTERFACE n°143 - Diplômé INSA autrement.
Claire PARMA, (LY-BC 1991) : Conteuse, Cie Les voix du conte

 




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